English abstract
What’s Happening to Canada?
On February 18, Ralph Nader posted on his blog an open letter to Prime Minister Stephen Harper, denouncing his government’s proposed anti-terrorism act (Bill C-51) as hazardous to Canadian democracy. “Particularly noticeable in your announcement were your exaggerated expressions that exceed the paranoia of Washington’s chief attack dog, former vice-president Dick Cheney,” Nader wrote.
Click here to view original post, or visit Ralph Nader’s website.
Ce texte est une traduction d’une lettre ouverte de Ralph Nader au premier ministre Stephen Harper, publiée le 18 février 2015 sous le titre « What’s Happening to Canada? » Cliquez ici pour consulter le texte original.
Ralph Nader (né en 1934) est un avocat et homme politique américain d’origine libanaise célèbre pour ses campagnes en faveur des droits des consommateurs.
Le 18 février 2015
Le très honorable Stephen Harper, P.-M.
80, rue Wellington
Ottawa, ON K1A 0A2
Monsieur le Premier ministre,
Beaucoup d’Américains aiment le Canada et les avantages particuliers dont notre pays bénéficie grâce aux nombreuses réalisations de notre voisin du Nord (voir Canada Firsts [Les innovations canadiennes] par Nader, Conacher et Milleron). Malheureusement, votre dernier projet de loi — la nouvelle loi antiterrorisme — est décrit par d’éminents chercheurs qui se penchent sur les libertés civiles au Canada comme étant dangereux pour la démocratie canadienne.
Une des critiques essentielles a été habilement résumée dans un éditorial publié au mois de février dans le Globe and Mail sous le titre : « Le Parlement doit rejeter le projet de loi pour une police secrète de Harper, » à savoir :
« Le premier ministre Stephen Harper ne se lasse jamais de dire aux Canadiens que nous sommes en guerre avec l’État islamique. Sous le nuage de peur produit par son hyperbole répétée sur la portée et la nature de la menace, il veut maintenant tourner notre agence d’espionnage interne en quelque chose qui ressemble fâcheusement à une force de police secrète.
Les Canadiens ne devraient pas être prêts à accepter une menace si évidente à leurs libertés fondamentales. Nos lois existantes et notre société sont suffisamment solides pour résister à la menace du terrorisme sans compromettre nos valeurs ».
On remarquait particulièrement dans votre annonce vos expressions exagérées qui dépassent la paranoïa du principal chien d’attaque de Washington, l’ancien vice-président Dick Cheney. M. Cheney refait périodiquement surface pour actualiser son pathologique discours de guerre, inconscient des faits — passés et présents —, notamment sa criminelle guerre d’agression qui a dévasté l’Irak, un pays qui n’a jamais menacé les États-Unis.
Vous êtes cité comme disant que « le terrorisme djihadiste est l’un des ennemis les plus dangereux auxquels notre monde a jamais fait face », pour justifier votre réaction brutalement excessive, ajoutant que « le djihadisme violent cherche à détruire » les « droits » des Canadiens. Vraiment? Je vous prie de me dire quels sont les droits enracinés dans la loi canadienne qui sont combattus par les « djihadistes » qui cherchent à les oblitérer au Moyen-Orient? Vous parlez comme George W. Bush.
Comment le « djihadisme » peut-il se mesurer au terrorisme d’état qui a coûté la vie à des dizaines de millions de civils innocents depuis 1900 — à l’ouest comme à l’est, au nord comme au sud — ou à la poursuite d’efforts constants visant à saisir ou occuper de nouveaux territoires?
À la lecture de votre oratoire apoplectique, on se souvient que plus tôt dans son histoire votre pays était devenu un gardien de la paix internationale sous l’inspiration de Lester Pearson aux Nations Unies. Cette noble cause a été remplacée par le déploiement de soldats canadiens au service du belligérant empire américain et de ses rebondissantes guerres, invasions et agressions qui violent notre constitution, nos lois, et les traités internationaux dont nos deux pays sont signataires.
Qu’a-t-on accompli avec toutes les vies américaines gaspillées, les blessures et les maladies qui sont survenues depuis le 11 septembre, sans compter les milliers de milliards de dollars arrachés aux contribuables américains? Est-ce que tout cela a contribué à stabiliser les pays envahis ou attaqués par les États-Unis et leurs réticents « alliés » de l’Ouest? Tout au contraire, cela a entraîné des répercussions colossales comme la métastase des ramifications d’Al-Qaïda et la prolifération de nouveaux groupes similaires, comme l’État soi-disant islamique, qui menacent maintenant une douzaine de pays.
Avez-vous digéré ce qui se passe en Irak et pourquoi le premier ministre Jean Chrétien avait dit non à Washington? Ou encore le chaos actuel en Libye, où comme en Irak il n’y a jamais eu de présence d’Al-Qaïda avant les attaques militaires déstabilisatrices des États-Unis? (Voir l’éditorial du New York Times du 15 février 2015 intitulé What Libya’s Unraveling Means [Ce que signifie la débâcle en Libye]).
Peut-être considérerez-vous plus crédible un homme comme Robert L. Grenier, ancien chef de la station de la CIA à Islamabad, au Pakistan. Dans son livre qui vient de paraître, 88 Days to Kandahar : A CIA Diary [88 jours à Kandahar : un journal de la CIA] (Simon & Schuster), il résume de cette façon la politique du gouvernement des États-Unis : « Notre abandon actuel de l’Afghanistan est le produit d’une… présomption colossale, à partir de 2005. » Il écrit, « en cours de route, nous avons écrasé un pays primitif, avec une population largement analphabète, une petite économie agraire, une structure sociale tribale et des institutions nationales naissantes. Nous avons déclenché une corruption massive grâce à notre prodigalité; convaincu un nombre important d’Afghans que nous étions, en fait, des occupants; et facilité la résurgence des talibans. » (Alissa J. Rubin, Robert L. Grenier’s 88 Days to Kandahar [Les 88 jours à Kandahar de Robert L. Grenier], New York Times, 15 février 2015).
Vous pouvez souvenez sans doute du tsar de l’antiterrorisme dans la Maison-Blanche de George W. Bush, Richard Clarke, qui a écrit dans son livre publié en 2004, Against All Enemies : Inside America’s War on Terror—What Really Happened [Envers et contre tous : les coulisses de la guerre américaine contre le terrorisme — Ce qui est vraiment arrivé], « C’était comme si Oussama ben Laden, caché dans une forteresse en haute montagne, contrôlait George Bush à distance, scandant dans son esprit, “Envahir l’Irak, vous devez envahir l’Irak”. »
M. Bush a commis un « sociocide » contre les 27 millions d’habitants de ce pays. Plus d’un million de civils irakiens innocents ont perdu la vie, en plus de millions de malades et blessés. Le nombre de réfugiés a atteint cinq millions et ce n’est pas fini. Il a détruit les services publics essentiels et déclenché des massacres sectaires — de retentissants crimes de guerre qui produisent en retour des représailles incessantes.
Les Canadiens devraient être préoccupés au plus haut point par vos politiques et pratiques de plus en plus dictatoriales, et par les dispositions de ce projet de loi qui prévoient une législation et des tribunaux secrets au nom de la lutte contre le terrorisme — trop vaguement définie. Examinez ce que des pratiques semblables ont fait aux États-Unis — une direction que vous semblez imiter, y compris la militarisation des forces de police (voir The Walrus, décembre 2014).
Si elle est adoptée, cette loi, s’ajoutant à des autorisations légales déjà draconiennes, permettra d’élargir vos bureaucraties dévouées à la sécurité nationale et leurs conflits de compétence, encouragera encore plus les rafles et l’espionnage aléatoires, nourrira la crainte et la méfiance chez les Canadiens respectueux de la loi, étouffera la liberté de parole et l’action civique, tout en détournant des milliards de dollars qui ne serviront pas à répondre aux besoins de la société canadienne. Ceci n’est pas hypothétique. Avec un filet de sécurité sociale déjà effiloché, qui faisait autrefois l’envie du monde entier, vous êtes presque parvenu à faire accepter un achat de 30 milliards de dollars (y compris l’entretien) pour des F-35 coûteux et inutiles afin de réchapper l’onéreux projet F-35 ayant échoué à Washington.
Vous pouvez croire que les Canadiens seront dupes d’une politique de la peur avant une élection. Toutefois, vous ne saisissez peut-être pas dans quelle mesure les Canadiens sont prêts à accepter que leur feuille d’érable demeure attachée aux serres agressives d’un aigle américain dérouté.
Le Canada pourrait être un modèle d’indépendance sur la toile de fond des aventures militaires américaines, ruineuses mais imprégnées de bénéfices pour les grandes entreprises… un modèle qui pourrait aider les deux pays à restaurer leur meilleure nature.
Cordialement,
Ralph Nader
Traduit par Henri Thibodeau